dimanche 23 octobre 2011

Belfortrail

DEUXIÈME PARTIE D'UN SUPERBE WEEK-END VOSGIEN. APRÈS LA SORTIE APÉRITIVE TOUT EN BONNE HUMEUR DE LA VEILLE, LE DÎNER GARGANTUESQUE ET LA COURTE MAIS TRÈS RÉPARATRICE NUIT DE SOMMEIL, C'EST LE SOURIRE AUX LÈVRES QUE J'ABORDE CETTE JOURNÉE.

Il est l'heure ! Didier tient son rôle de réveil matin à merveille, son sourire serait peut-être un peu narquois mais c'est de bonne guerre... après tout, j'ai choisi de courir pour de vrai aujourd'hui. Attention, je ne veux pas dire que la journée d'hier était de tout repos... non, simplement aujourd'hui il y aura un chrono, beaucoup plus de monde et beaucoup moins de discussions. Le petit déjeuner royal (vous commencez souvent votre journée par un kougloff ?) avalé, je me fais emmener à Sermamagny par Martial, qui a réussi à trouver une occupation dominicale in extremis pour ne pas faire la course. L'effervescence est de mise au retrait des dossards. Pourtant, pas d'attente, un peu de place pour s'équiper au chaud, tout est parfait pour se mettre dans le bain.

L'heure du départ approche, et l'heure des questions aussi. Je ne m'en étais pas trop posé jusque là, bien m'en avait pris. Avec 50 kilomètres et 2300 m de dénivelé positif au programme, j'estime ma balade à 7 heures d'effort en y arrivant frais. Oui mais voilà : la sortie d'hier ne compte pas pour du beurre. On a bien rigolé, fait de nombreuses pauses mais les jambes sont rincées par le dénivelé, bien moins fraîches que mes pensées. Alors outre le fait de me faire plaisir au maximum, mon seul objectif sera de rentrer suffisamment tôt pour prendre mon train, à Belfort, le soir même... si je suis un peu trop lent, il n'y aura pas d'alternative : abandon !

Dès le départ donné, je ne suis pas surpris de me retrouver en fin de peloton. Je garde un rythme tranquille, une foulée la plus souple et légère possible... et me fais doubler, sur cette première partie plate entre les étangs de Sermamagny. À peine une demi-heure et déjà je regarde mon allure au GPS : tout va bien, relax, le train n'est pas pour tout de suite. Les premières côtes se passent bien, les descentes également. Je ne suis pas si mal, je peux commencer à mettre de côté mes impératifs pour profiter. Je n'ai pas eu trop de temps pour regarder le profil, je me rappelle juste des côtes les plus sévères et des deux ravitaillements qui pourraient diviser la durée d'effort en trois tiers, on peut toujours rêver. Au bout d'une heure de course pourtant, le déclic. Je me laissais porter par le courant, regardant à droite et à gauche, profitant des couleurs de la forêt, des sentiers, un peu en l'air parfois aussi et puis à la faveur d'une traversée de champ recouvert de givre, une idée lumineuse surgit dans mon cerveau endormi. C'est tout de même une course, et les courses, c'est tout de même fait pour essayer de se donner un peu de mal, non ? L'aspect contemplatif est important, mais si l'aspect chronométrique devait finalement être là, lui aussi... cela ne ferait-il pas un superbe week-end ? Avant de réfléchir trop pour stopper cette idée avec des arguments tous aussi béton les uns que les autres, je me lance : après tout, tester ces seuils de bien-être, douleur, récupération, c'est également profiter. Je profite donc de cette file indienne de coureurs devant moi pour faire ma trace dans le givre et doubler. Au moins, les pieds seront au frais. J'accélère légèrement et tâche de garder ce rythme. Le premier effet est de dérider un peu mon visage. D'une tendance « bien cool sur la réserve », je passe au mode « tout sourire » et rien que ça fait beaucoup de bien. Le deuxième effet est de commencer à remonter des concurrents. Un peu tôt bien sûr pour un pacman, mais après tout, il ne reste qu'un marathon (sic !). Le troisième effet est de repasser dans un mode de pleine confiance : ma foulée n'est pas moins souple qu'au départ, mon allure reste assez constante, les relances sont toujours là... pourvu que ça dure.

Le passage au premier point d'eau donne le départ des choses sérieuses : la première grosse côte est là et je saurai donc rapidement si je suis dans l'erreur. L'altitude augmente, et les paysages se découvrent, en plein soleil. Je monte rapidement, double toujours sans trouver l'effort trop absurde pour la suite et continue sur ma lancée. Le premier ravitaillement arrive au bout de 2 h 20 min au chrono, les sept heures sont dans ce rythme. À l'approche des tentes, je me fais une liste de mes besoins : je n'ai pas bu beaucoup, je suis parti avec le plein d'eau et de quoi manger, l'arrêt sera donc bref. Je sors mon gobelet, le remplis avec un premier Coca-Cola bu sur place, un second, j'attrape un morceau de banane et je reprends ma route en marchant, le temps d'avaler le tout, tranquillement. Résumé de ce premier tiers de course : tout va bien, rien à signaler, les sentiers sont ludiques, le paysage comme j'aime, je suis bien. Un petit peu de vallonné, un beau lac qui inspire la quiétude et viennent ensuite quelques kilomètres de pistes qui m'agrandissent encore le sourire. Je ne suis pas un fervent admirateur de ces portions roulantes... mais le fait de les prendre en courant alors qu'il serait tellement doux d'y marcher me ravit. Ensuite vient la montée du Ballon d'Alsace, le passage devant la statue de Jean d'Arc et une descente magnifique en forêt. Une bénévole me prévient du danger de glissade, je lui réponds bêtement que je vais me contenter de fermer les yeux. Je me régale sur cette partie, double encore et parvient en bas sans même l'esquisse d'une chute. Combien de fois faudra-t-il me le dire : l'entraînement paie. C'est vrai pour le volume en général, mais également pour le dénivelé. Une portion roulante permet de récupérer avant le clou du spectacle de cette 2e partie de parcours : la montée directe de la piste noire du Langenberg. 40% sur 500 mètres, ça calme. Heureusement le sol n'est pas boueux ce qui permet globalement de monter à chaque pas ! La relance au sommet est de courte durée puisque le deuxième ravitaillement est là, lui aussi passé rapidement. Je profite de la descente suivante, je n'ai plus grand risque de louper mon train alors j'essaie de ne pas ralentir, quitte à souffrir un peu sur la toute fin.

De belles cascades, des fermes-auberges (ouvertes... il faudra revenir), de beaux sentiers... tout va pour le mieux. Je commence à ralentir dans les côtes mais maintient un rythme suffisant pour encore grappiller quelques places et surtout conserver mon rythme « consistant ». Ce dernier tiers de parcours est bien vallonné, pas ennuyeux pour un sous et les sentiers sont toujours aussi beaux. Je guette les kilomètres au GPS et redoute un final longuet sur une route ou sur une piste qui casserait mon moral victorieux — de moi-même, c'est déjà pas si mal et c'était le but depuis presque six heures. Mes craintes sont vite envolées, dès que mes pieds retrouvent le bitume, des bénévoles et spectateurs sont là pour indiquer l'arrivée toute proche. Un petit coup d'œil en arrière (fierté mal placée) et c'est la ligne, moins de sept heures après le départ. Sourires, regards pétillants, soleil, je ne boude pas mon plaisir. Les douches sont encore chaudes, le menu est gastronomique, TSN ne néglige rien.

Malgré un handicap certain au départ, je ne me serai pas ennuyé une minute sur ce parcours. Les aspects doux des Vosges (avec un point culminant du parcours à 1247 m pour un départ à 400 m) sont pimentés par quelques côtes et descentes très techniques qui raviront les montagnards. Les relances ne sont pas non plus à négliger, le parcours est très complet. Le final direct est pour moi révélateur ; rien ne sert de rallonger pour rallonger, le fait de passer par les bons endroits sans chercher la difficulté à tout prix est un repos pour l'esprit quand on est dans le dur : sûr qu'au sommet de cette côte, ça vaudra le coût.

La morale de l'histoire, un week-end choc : pourquoi faire ? Eh bien pour profiter des copains, voir du pays, découvrir des endroits insolites et se sentir plus fort, malgré ces douleurs du début du 2e jour. Et puis cela sera utile pour la course suivante. Quelle course ? Ah, oui, il faudrait en trouver une, assurément. Ou alors un nouveau doublé, off+on, peut-être ? Rien de tel pour profiter.

samedi 22 octobre 2011

Off vosgien, « autour du Molkenrain »

QUI RÉSISTERAIT À L'IDÉE D'ALLER SE BALADER DANS LES VOSGES, COURIR, MARCHER, MANGER, DISCUTER EN DESSINANT DES PÉTALES AUTOUR D'UN SOMMET, BAIGNÉ DU SOLEIL D'OCTOBRE ? PAS MOI EN TOUT CAS, SURTOUT QUAND CELA CONSTITUE LA PREMIÈRE PARTIE D'UN WEEK-END AXÉ COURSE. SUIVEZ LE TOURISTE !

L'Est ne serait pas si loin ? Vu de Paris ou de ses environs, les Vosges ne sont tout de même pas à côté. Que l'on voyage en voiture ou en train, il faut compter en grosse demi-journée en cette fin de mois d'octobre avant de rejoindre Mulhouse. Dès la mi-décembre, les nouveaux aménagements de voies TGV rapprocheront un peu plus ces deux villes... plus rien ne vous empêchera d'y aller en train. Pour mon compte, l'aller-retour d'une douzaine d'heures porte-à-porte m'oblige à préférer un week-end choc. Alors quand Didier Petitjean propose un doublé « off le samedi plus course le dimanche » sur le forum Utrafondus, je saute sur l'occasion. Je connais déjà Didier pour l'avoir côtoyer de nombreuses heures lors de mon premier gros off... c'était déjà dans les Vosges, en juin 2007. En grande partie de nuit (évidemment, avec un départ à 22 h) et malgré la période estivale, la météo ne nous avait pas permis de profiter les paysages, même pendant la journée. Malgré les conditions et les difficultés pour mon niveau, j'avais été conquis par l'accueil, les sentiers, les échanges et les repas. C'est aussi ce même Didier qui avait proposé un bel enchaînement l'année passée avec le Grand raid 73 et le trail des Allobroges le lendemain... bref, Didier a toujours de bonnes idées et malgré sa propension à cultiver un air d'ours mal léché (auquel personne ne croit plus), il me tarde de retrouver sa compagnie, ainsi que celle de ses acolytes qui assureront la bonne humeur toute la journée.

Cette journée est partagée entre Ultrafondus et le Club alpin français de Mulhouse, histoire de grossir un peu les rangs. Nous nous retrouvons donc à sept en ce beau matin d'octobre sur le petit parking de Steinbach, au pied du Molkenrain, dont Didier nous propose une visite en quatre pétales, une cinquantaine de bornes et environ 3000 mètres de dénivelé positif. J'avais subtilement (sic !) émis l'idée d'une visite d'une ferme-auberge mais cette option n'est pas encore au programme lorsque l'on démarre notre périple... mais je ne perds pas espoir. Le soleil prévu tout le week-end ne parvient toutefois pas à percer la brume, avec une petit peu de gelée en ville et l'humidité ambiante, nous n'aurons pas trop chaud de toute la journée. La première montée permet de faire connaissance et de se mettre dans le bain. L'heure est au profit : le regard s'aiguise, les sens se réveillent pour capter et garder toutes ses sensations qui mises bout à bout vaudront bien un week-end passé loin de la famille. Les sentiers très bien entretenus et balisés (les amis de la nature du Vieil-Armand font un boulot épatant), ainsi que la mémoire visuelle de Didier nous permettent de nous balader sans crainte de faire des rallonges. Il est de toute façon impossible de se perdre ici, et à moins de le faire exprès, nous aurons toujours un sentier sous les pieds. Nous sommes montés pour mieux redescendre, c'est le thème de la journée. Le passage au ras du sommet, dans la gelée blanche et baignés de soleil est un régal... le passage au ras de la ferme-auberge sans un seul regard aux spécialités proposées un peu moins, mais j'ai toujours confiance : on finira bien par s'arrêter quelque part. Nous abordons ensuite une autre dimension, historique cette fois. Après avoir passé quelques panneaux retraçant les batailles de 14—18, nous entrons dans le vif du sujet avec un passage particulièrement fort : la montée de la tranchée de l'échelle du ciel (lire l'encadré). Nous sommes heureux de la prendre en montant, tant les marches recouvertes de feuilles sont glissantes... Nous continuons notre remontée dans le temps en longeant le cimetière militaire avant de retrouver notre cheminement pour le moins futile après ces pensées guerrières, en quête de nature.

Après un nouveau passage tout près du sommet du Molkenrain et pour nous remettre de nos émotions (les quatre pétales qui se transforment allégrement en cinq boucles), nous remportons un arrêt rapide dans la ferme-auberge Ostein des plus rustiques. Le feu dans le poêle n'est prévu que le lendemain, il n'y a pas de plats chauds proposés ni de tarte aux myrtilles, mais une boisson suffira à nous requinquer, avant de continuer notre descente et de repasser devant cette ferme à la remontée, qui se terminera au Rocher, après un passage droit dans le pierrier, à la recherche plus ou moins nonchalante d'un sentier qui ne nous manque pas : c'était la séquence rigolade de la montée. Le soleil est bien présent et nous chauffe pendant notre pause à ce sommet, avant de se laisser filtrer par les arbres quand nous pénétrons de nouveau dans la forêt. Nous remettons une petite couche supplémentaire dans la descente, la fraîcheur de la fin de journée reprend ces droits. Une piste forestière plus loin et nous entamons notre dernière côte, déjà. Courte et bien régulière, elle est avalée par tous les membres de notre équipe en un rien de temps... on en serait presque à regretter une sixième « face ». Enfin, cette idée ne reste pas longtemps dans mon cerveau, le programme du lendemain se charge de calmer mes ardeurs. Nous finissons cette journée en forêt par un sentier comme Didier les affectionne : glissant, rocailleux et en descente bien sûr, pour rejoindre notre petit parking. Un repas digne des Gaulois de bande-dessinée viendra clore cette belle journée de course, à la découverte d'une petite partie de ce beau massif des Vosges, alternant montées et descentes, fonds de vallée et vues dégagées, pistes et mono-traces, si loin des nuisances de la civilisation, en plongeant pourtant si près de ce que nos ancêtres ont dû enduré pour nous le permettre.

dimanche 27 mars 2011

Précis de balade dominicale (*), ou l’optimisation à la portée d'un poireau

La quatrième édition de l’Eco-Trail de Paris Île-de-France se tenait fin mars. Une grosse course du point de vue distance mais aussi de celui du nombre de participants (pratiquement 1900 partants sur le parcours de 80 km) en tout début de saison, de quoi porter un jugement sur mon volume hivernal et aussi essayer des trucs et astuces !

Absent des trois premières éditions pour des motifs pas forcément fondés, j’ai la possibilité en début d’année de mettre un terme à cette série. Je ferai donc l’Eco-Trail de Paris Île-de-France. Cette sortie devient au fil des semaines un véritable objectif, non seulement parce que ça serait dommage de louper une occasion de tirer un peu sur la machine entre copains, mais aussi parce que la probabilité de faire la 6666 Occitane, qui me semblait un très bon objectif en fin d’année dernière, s’amenuise.

Je pars du principe difficilement concevable que je ne m’entraîne pas. Je fais des sorties, dont l’enchaînement peut ressembler, de loin et à certains moments, à un plan structuré. Mais ça ne serait que fortuit : je décide par exemple en septembre de tenter un mini-dernier-objectif de fin d’année : tenir la moyenne (phénoménale pour moi) de 10 kilomètres par jour jusqu’au 31 décembre. Je passerai ainsi d’environ 50 kilomètres hebdomadaires à 70. J’y parviendrai presque, puisqu’il ne me manque qu’une trentaine de kilomètres fin décembre pour réaliser cet objectif. Le 1er janvier arrive sans grande résolution, mais avec l’envie de continuer sur ma lancée : et pourquoi ne pas tenter de tenir cette moyenne sur une année entière ? C’est ainsi que s'enchaînent sept mois avec un volume hebdomadaire qui avoisine la longueur de la course.

Je ne me sens pas invincible après un tel traitement, mais les jambes tournent dans un bon rythme, que les sensations soient au rendez-vous de ma sortie ou non et ce quelque soit sa longueur, ce qui ne m'était jamais arrivé. Manque de chance, je prends froid à trop vouloir faire l'estivant quinze jour avant le départ. L'avant-dernière semaine sera donc un peu perturbée et assez légère, contrairement à ce que je prévoyais. Ceci me décide sans trop me forcer à ne faire qu'une semaine d'un petit affûtage avant la course. Deux sorties de 15 km le dimanche et 70 km en cinq jours, ce n'est pas vraiment ce que j'appelle du tapering. Mais je me fais plaisir à reprendre mes marques du point de vue sensations et surtout respiration. Étonnante même, la sortie du jeudi me paraît poussive alors que je suis pratiquement à mon rythme le meilleur. Je me prends même à regarder mes semaines d'entraînements précédant mes deux courses les plus réussies sportivement parlant... me serais-je mis un peu de pression ?

Arrive le week-end. Un week-end de course chez les Ultrafondus est toujours un peu particulier. Ça commence le vendredi qui est consacré au stand, sous le chapiteau de la course. La Tour Eiffel se dresse devant nous, comme une donjon d'un château imprenable. Je ne lui jette que quelques coups d'œil placides, on verra bien demain. La station debout n'est pas conseillée la veille d'une course, mais mes jambes ne semblent pas trop souffrir. Seul hic, je ne bois quasiment pas de la journée, encore un mauvais point. Après avoir éviter de peu d'être embarqué dans une avant-course en forme de « off » pourtant prometteuse, je rentre chez moi pour une nuit un peu trop courte, mais particulièrement paisible, chose rare avant un événement de cette importance. La matinée est relativement stressante, il me faut préparer mon sac, l'itinéraire, la puce, m'occuper un minimum des enfants... je pars bien sûr en retard par rapport à l'horaire prévu, mais roule sans encombre jusqu'à la base de loisirs de Saint Quentin-en-Yvelines, où je décide bêtement de me garer plutôt que de tenter de trouver une place vers la gare avant de prendre une navette.

Nous y voilà. Samedi midi, je vadrouille à la rencontre des uns et des autres du côté de la zone de départ. J'ai mis au point une tactique toute personnelle la veille, partant du principe qu'il y aura des bouchons au premier ravitaillement. Je veux optimiser la logistique, pour essayer de profiter de cette course d'un point de vue sportif : toutes les conditions sont réunies pour faire une belle perf, ça serait dommage de s'en priver. Le paysage n'est pas différent de chez moi et je connais même quelques coins traversés par le parcours. L'idée de ne pas regarder tout le temps la forêt ni les panoramas ne me gêne donc pas trop. Celle de ne pas trop discuter non plus. Je me laisse même séduire par l'idée de regarder mon GPS tous les kilomètres. Horreur ! J'ai arrêté de courir des marathons car je ne supportais plus de courir les yeux rivés au chronomètre, et je remplace cet acte par son double : regarder un autre indicateur (la vitesse globale ici) pendant... plus de 80 km. Tout le monde peut se tromper ! Ce vendredi donc, après des heures de discussions sur le stand, me conforte dans mon idée de... ne pas m'arrêter au premier ravitaillement. Ce n'est pas conseillé par l'organisation – ça serait même le contraire – mais après tout, je sais que je peux tenir 55 km avec mon kit de survie, testé et approuvé après de nombreux « ultras du boulot » ces deux dernières années, de chez moi à mon ancien boulot parisien. Mon secret ? Une poche à eau de presque deux litres remplie d'un mélange d'eau et d'eau gazeuse, et une petite bouteille remplie de cola. Avec ça et deux compotes, je tiens des heures. Alors pourquoi pas sur une course ?

12 h 30. Le départ est donné sous un chaud soleil. Nous nous sommes placés avec mon compère assez proche de l'arche de départ et nous sommes littéralement engloutis par une marée humaine. Nos 10 km/h sont trop ridicules pour s'échapper. Ça donnerait tout de même 8 h 18 min sur la ligne d'arrivée puisque la course a été ré-évaluée à quasiment 83 km : je m'en contenterais bien. C'était d'ailleurs mon auto-pronostic super rapide que je donnais à qui voulait l'entendre : je vise 8 h pour les 80 km. Je le pensais avec quelques minutes derrière, de une à trente pour une course de rêve... moins de cinquante-neuf pour ne pas trop biaiser l'étude échocardiographique réalisée par une équipe médicale avant le départ et dès l'arrivée franchie. En parlant du cœur, c'est bien mon rythme cardiaque que je souhaite contrôler pendant les premières heures de course, avant d'essayer de contrôler la vitesse moyenne. Pour une deuxième utilisation du cardiofréquencemètre en course, je me fixe une limite à 160 pulsations par minute pour n'importe quel pic d'effort (principalement en côte, donc) sur ce début de course. Avec une fréquence cardiaque maximale près de 190 et après quelques essais, je sais que je peux tenir ce 160 pendant quelques heures ; je compte bien utiliser les pulsations gagnées au départ pour accélérer sur la fin. Mais bref, revenons à la course car c'est parti très vite devant, et vite de tous les côtés. À mon poignet, j'ai un peu plus de 140 pulsations par minute, une allure un peu au-dessus de 10 km/h, impossible d'aller mieux, je m'étonne de ces chiffres si bons et je m'étonne encore plus de résister à ces sensations d'allégresse. L'arrière des cuisses tire un peu depuis le départ, je paie raisonnablement ma station debout de la veille. Et pour le reste, mes muscles brûlent de se consumer. La première heure de course s'effectue au mental. Je n'avais jamais connu ça. Oui, je me freine. Tout mon être aspire à accélérer, à profiter des sensations de bien être que procure une bonne foulée enlevée. J'essaie de tromper mon cœur, mes muscles, mon sang en discutant, en me gavant de patience... en me promettant une revanche chevaleresque.

Deux heures passent ainsi, à lutter pour ne pas accélérer à la première occasion, pour ne pas doubler un groupe de coureur qui me ralentit un peu en descente ou sur un petit mono-trace bourré de racines... pour rester à l'abri et avoir ma revanche. Pendant ces deux heures, je bois peu, vraiment très peu... trop peu. J'engloutis une compote et vois arriver avec soulagement le premier ravitaillement. Ma course se joue là. Ma performance, mon chrono, mon objectif, tous ces termes que je n'emploie que rarement, et encore plus rarement ensemble. C'est ici, maintenant, que je décide de commencer à m'amuser, à laisser derrière moi tous les doutes, les appréhensions, les freins. Même si cela ne doit pas durer jusqu'à la Tour, j'aurais au moins eu ma période de « ça va déchirer grave ». Ravitaillement du 21e kilomètre, je passe sans un regard pour les tables certainement remplies de bonnes choses, cachées par une foule incroyablement dense. Cette cour d'école est passée en moins de 30 secondes, et me permet de gagner au moins une centaine de places.

J'accélère un peu, je me lâche, ça y est, c'est le moment, mon moment, pour profiter en situation des superbes sensations accumulées depuis ces derniers mois. Mes jambes répondent bien, je commence à relever un peu la tête pour profiter de tous les stimuli extérieurs. Le sérieux du dénivelé arrive, avec la succession des premières grosses côtes du parcours. Je n'avais pas de stratégie pour les gérer, le contrôle de la fréquence cardiaque m'en apporte une : je marche dès que j'atteins 155 battements par minute, sans pour autant couper mon effort, mais en m'accordant jusqu'à 160 avant de réfréner mon ardeur. Ce met en place automatiquement une respiration profonde – en insistant sur l'expiration – qui m'avait réussi lors de mes dernières courses, m'évitant un emballement dont j'étais assez coutumier... et que je payais d'une manière ou d'une autre au bout de quelques heures. Je grappille encore des places en montées. Dans la même idée, je déroule vraiment la foulée dans les descentes. Il n'y aura pas de grandes pentes trop dévastatrices pour les quadriceps, autant en profiter en s'amusant un peu. Je passe le 30e kilomètre avec toujours la même joie de courir, j'en rajoute même un petit peu, profitant au maximum de l'espace autour de moi. J'avale ma 2e compote et commence à penser avec avidité à ma bouteille de cola dans mon sac : allez, ça sera pour le 35e. Je bois toujours aussi peu. Je m'en rends compte mais mes réserves sont tout de même assez limitées, alors je garde mon rythme de petites gorgées de temps en temps. Et voilà le moment pour sortir ma bouteille, son contenu est avalé en deux côtes successives, on dira ce que l'on voudra, ce goût inimitable requinque. Je continue ma progression, la vitesse globale baisse à cause des montées mais les jambes ne s'en ressentent encore pas trop. La mi-course est passée avec un peu d'appréhension pour la suite. Mais quand je regarde les visages de ceux que je double, je me rassure en me disant que je ne dois pas aller si mal. J'ai bien envie de lancer un « allez, encore autant » à certains coureurs mais je me ravise craignant que cette réflexion soit mal perçue. Enfin, nous entrons dans le parc de l'observatoire de Meudon. Et pour la première fois depuis hier soir, je vois la Tour Eiffel. Le ciel est chargé, quelques gouttes commencent à tomber. Je sors ma veste peu de temps après, en profitant de l'arrêt obligé pour le contrôle des sacs. Je repars du contrôle en marchant, prenant le temps de mettre ma veste, avant de profiter encore du parc. J'y suis venu quelques fois pour courir, quelques fondus d'un laboratoire du CNRS y organisent un cross tous les ans, début janvier. Le terrain y est toujours gras, aujourd'hui il me paraît bien sec. Je me plais à passer lentement, avec le souffle régulier là où plus habituellement mes pieds martèlent le sol et mon souffle est court. Je croise un peu plus loin un célèbre Ultrafondus sur son vélo, qui m'accompagnera pendant deux bons kilomètres. Deux kilomètres gratuits passés à discuter du bon vieux temps et de l'avenir. Il me quitte en m'indiquant l'arrivée sur 2e ravitaillement. Celle-ci se fait par un long faux-plat montant, dans lequel je garde une petite foulée de course ainsi qu'un énorme sourire, ce qui dénote un peu avec les masques des quelques concurrents qui me côtoient. Je viens de terminer un très long et bon passage, le plus technique et difficile de la course ; il ne reste que 25 km, autant dire que... rien n'est joué.

C'est donc mon premier ravitaillement, et je n'en profite pas pour prendre mon temps. Il est très largement dimensionné pour accueillir le peu de coureurs qui arrivent à ce moment. Je remplis ma poche à eau pas encore à sec et sors mon arme secrète. J'avais en effet mis de la poudre de soupe aux légumes dans ma gourde, rangée dans mon sac. Je la remplis rapidement, engloutis sur place une poignée de raisins secs et deux Tucs, reprends deux morceaux de bananes et sors du ravitaillement pour me remettre de ces agapes en marchant. Un grand moment de quasi-solitude commence. Je reste derrière un gars à quelques dizaines de mètres et je ne le rattraperai vraiment que dans le parc de Saint Cloud. Quelques coureurs me doublent, j'en double quelques uns mais cette section est vraiment très calme. On sentirait presque l'attente avant le coup de fouet final. La vitesse moyenne devient ma motivation, j'avale ma soupe à vitesse grand V, alternant avec de l'eau fraîche. La déshydratation de cet après-midi commence à se faire sentir, je n'ai pas encore marqué le moindre arrêt technique... en six heures de course. L'optimisation entraîne la prise de risques, j'espère à ce moment que je pourrais arriver au premier étage avant d'être complètement sec. La nuit s'installe, les dernières côtes se transforment en faux-plats et sont avalées à bon rythme. Malgré les trois kilomètres supplémentaires annoncés au départ, le spectre des neuf heures s'éloigne... les huit heures piles ne sont plus envisageables depuis bien longtemps déjà, si elles ne l'ont jamais été, mais les neuf heures, limite pour participer à l'étude médicale, sont quasiment acquises. Ce deuxième objectif chronométrique m'aura bien motivé.

Et voilà le dernier ravitaillement, déjà. Je ne m'occupe même pas de ma poche à eau que je sais encore assez remplie pour les dix derniers kilomètres. Je demande un peu de soupe pour remplir ma gourde, prends encore quelques Tucs et raisins secs et reprends le parcours en mode marche, tout en les avalant. Encore deux minutes d'arrêt, après l'optimisation de l'hydratation, j'aurai bien optimisé les arrêts. Je sors ma petite frontale, qui s'avère un peu faible dans des conditions d'éclairage partiel. Je le savais et comptais sur le peu de temps à en avoir besoin pour contre-balancer ce défaut. Le timing est juste un peu plus serré qu'espéré. Je perds un peu de temps dans les chemins qui mène à la dernière descente de la course, et après celle-ci pour retrouver les balises autour des arbres, mais ensuite nous retrouvons l'éclairage urbain, la frontale devient vraiment peu utile. Là encore, j'ai bien fait de me contenter de cette double-LED super légère.

Enfin les quais, et la Tour scintillante à bout de bras. Bizarrement, c'est à ce moment que je retrouve des coureurs. Tout s'accélère ici, ceux qui souffrent depuis un moment n'en peuvent plus, ceux qui en ont gardé suffisamment sous les semelles prennent la poudre d'escampette. J'espère bien faire partie de ces derniers, mais je patiente encore un peu. Oh, pas longtemps, non. Au 74e kilomètre, un gars me double doucement ; son passage entraîne une réaction chimique dans mon cerveau. Si je dois accélérer, c'est le moment. Tant pis s'il est trop tôt ; même si je craque un peu plus loin, je ne devrais pas perdre trop de temps au final et puis j'aurais essayé, au moins. Sans compter que je ne suis plus à quelques minutes s'il m'arrivait de craquer complètement. C'est donc là que je place mon accélération foudroyante. Enfin, elle ne l'est que pour mon imagination, car tout mon être sait bien que je ne suis même pas à douze kilomètres à l'heure. Je ne regarde plus mon GPS, uniquement les quelques mètres devant moi. C'est un tort, je m'égare deux fois, deux fois de rien du tout, quelques secondes, mais cela casse la fragile volonté que j'avais de finir sur les chapeaux de roues. Et puis il y a les crampes, ou plutôt les quelques alertes sous les pieds, aux mollets et derrière les cuisses qui se tendent lorsque ma foulée n'est plus aussi souple. Et puis il y a la déshydratation qui commence à réclamer son dû, je m'arrêterai plusieurs fois sous les ponts. Ce n'est donc pas une fin chevaleresque qui m'amène au pied de la Tour, mais bien une fin d'ultra comme j'en ai l'habitude, ou tout tire ou coince plus ou moins, mais où mon sourire est comme une bonne étoile. L'arrivée sous la Tour Eiffel est phénoménale, les bénévoles bloquent les voitures pour nous laisser passer, la foule en délire nous acclame et enfin les escaliers sont là. Ah ! Quel agréable moment, après cette arrivée triomphale, d'avoir quelques minutes à soi, entre la Tour et nous-mêmes, à repenser à mon état à différents moments de la journée, à ma gestion de course et à toutes les bonnes décisions que j'aurai prises aujourd'hui. En franchissant la ligne les bras levés, je signe ma meilleure course de tous les temps, toutes distances confondues. La gestion du risque n'est donc pas seulement à portée de l'élite, le poireau moyen peut aussi avoir sa journée d'optimisation ! Pourvu qu'il y en ait d'autres.

Ça ne sera pas pour le lendemain. Après une soirée passée en très bonne compagnie, le retour sera plus problématique que l'aller. Tout va bien dans le RER qui me ramène à Saint Quentin, mais à minuit passé après presque neuf en de course, ma réflexion est limitée... il me faudra plus d'une heure pour retrouver ma voiture, esseulée sur le parking de la base de loisirs. Heureusement, le gardien me laisse en sortir et me permet de rentrer tranquillement chez moi. Dans la voiture, c'est gourde à portée de main, chauffage et sourire à fond. (*) La course a bien eu lieu un samedi, même si ça ressemblait à un 2e jour de week-end !